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jeudi 31 juillet 2025

Comment Russel Coutts a réussi à imposer le SailGP face à Grant Dalton ! 1/2

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Ludovic Sorlot
Ludovic Sorlothttps://www.cuplegend.com
Rédacteur en chef du magazine CupLegend

La rivalité entre les deux hommes remonte à 2000, année où Grant Dalton prend les rênes de Team New Zealand, dans un contexte de crise. Quelques mois plus tôt, Russell Coutts, héros national et visage de la victoire de 1995 puis de 2000, quitte brutalement l’équipe. Il embarque avec lui une partie des meilleurs talents néo-zélandais pour rejoindre le défi suisse Alinghi, soutenu par Ernesto Bertarelli. À la stupeur générale, il remporte la Coupe de l’America à Auckland en 2003, non plus sous pavillon kiwi, mais helvétique. En Nouvelle-Zélande, le geste est perçu comme une trahison. Coutts, longtemps persona non grata dans son propre pays, mettra des années à se faire pardonner du public néo-zélandais.

La Coupe de l’America se joue ensuite à Valencia, mais la collaboration entre Russell Coutts et Ernesto Bertarelli tourne court. Les deux hommes se brouillent, et Coutts rejoint alors le camp américain, en prenant la direction d’Oracle Team USA. La victoire d’Oracle Racing à San Francisco humiliante pour les kiwis après une remontada incroyable en AC72 creuse le fossé avec Grant Dalton.
En 2017, aux Bermudes, Coutts prend la direction de l’évènement et met fin à sa carrière de skipper. L’équipe américaine subit une défaite cuisante face à Emirates Team New Zealand. Ce revers marque un coup d’arrêt pour celui qui ambitionnait de faire de la Coupe de l’America un championnat structuré et cyclique, à l’image de la Formule 1. Son projet, nourri depuis de longues années, s’effondre.
Russell Coutts avait déjà essayé en 2007 où il avait déjà tenté de lancer un circuit international avec les RC44, des monocoques qu’il avait conçus. Mais l’initiative peine à trouver son public et s’essouffle rapidement, notamment en raison de l’évolution vers les multicoques dans la Coupe de l’America. C’est alors Ernesto Bertarelli qui lui souffle l’idée de capitaliser sur les AC50, ces catamarans à foils utilisés aux Bermudes. Le Suisse propose de racheter les six bateaux construits pour la 35e édition, afin d’en faire la base d’un nouveau circuit. Mais les négociations tournent court : Coutts réclame le poste de directeur général. Les relations se tendent, et le Néo-Zélandais se tourne vers Larry Ellison, fondateur d’Oracle, qui voit là une opportunité de revanche après la défaite de son équipe face aux Kiwis. Ernesto Bertarelli est écarté. Alinghi, son équipe, ne participera jamais au SailGP pour cette raison.

L’AC75 et le lancement de SailGP
En janvier 2018, Grant Dalton présente officiellement l’AC75, le nouveau monocoque volant conçu pour la prochaine édition de la Coupe de l’America. Une rupture assumée avec les multicoques, voulue notamment par le Challenger of Record, Luna Rossa Prada, dont le propriétaire, Patrizio Bertelli, milite activement pour un retour aux monocoques. Les AC50, devenus obsolètes, sont mis sur le marché. Quatre sont rachetés par Russell Coutts ; deux autres unités sont construites ex nihilo par le chantier néo-zélandais Core Builders Composites, historiquement lié à Oracle.
Les anciens AC50 subissent alors une profonde transformation pour devenir des F50, des monotypes stricts. Les modifications sont nombreuses : adoption de l’aile rigide inspirée de celle de Groupama Team France, amélioration des foils, modernisation des systèmes de contrôle, désormais entièrement sur batterie. Le SailGP prend forme : un circuit international monotype opposant des équipes nationales. Russell Coutts contacte les principaux skippers de la Coupe, leur proposant une structure clé en main – bateau, équipage et logistique – pour trois saisons. À eux de trouver les partenaires financiers nécessaires à la poursuite de l’aventure. Pour inciter les équipages à s’engager pleinement dans la compétition, Russell Coutts met en place une dotation exceptionnelle : un prix d’un million de dollars est attribué à l’équipe victorieuse.

2018 : lancement officiel de SailGP
En octobre 2018, le circuit SailGP est officiellement lancé avec six nations : les États-Unis, l’Australie, le Japon, le Royaume-Uni, la Chine et la France. À la barre des F50, les meilleurs skippers répondent présents: Tom Slingsby, Nathan Outteridge, Jimmy Spithill , Phil Robertson, et Ben Ainslie. Côté français, Russell Coutts préfère à Franck Cammas, Billy Besson — quadruple champion du monde de Nacra 17 et représentant tricolore aux Jeux olympiques de Rio — qui hérite de la barre. Il est entouré de Marie Riou, Matthieu Vandame, Devan Le Bihan, Olivier Herledant et Timothé Lapauw, équipier de réserve.
Après cinq Grands Prix disputés sur trois continents, la première Super Finale se tient à Marseille en septembre 2019. L’équipe française y décroche la cinquième place.

Le Covid-19 rebat les cartes
En 2019, trois challengers défient Emirates Team New Zealand pour la 36e édition de la Coupe de l’America, prévue à Auckland en 2021 : Luna Rossa Prada Pirelli (Italie), INEOS Team UK (Royaume-Uni) et American Magic (États-Unis). Mais la pandémie de Covid-19, qui frappe le monde en 2020, bouleverse les calendriers avec des répercussions durables sur la Coupe comme sur le circuit SailGP.
Alors que seuls deux Grands Prix sont disputés, la saison 2 de SailGP est suspendue et repoussée à 2021. Pendant ce temps, en Nouvelle-Zélande, la Coupe de l’America se joue à huis clos, dans un strict régime de quarantaine imposé par le gouvernement. En mars 2021, les Kiwis s’imposent face à Luna Rossa et conservent le trophée.
Quelques semaines plus tard, en avril 2021, le circuit SailGP relance sa deuxième saison aux Bermudes. Deux nouvelles équipes rejoignent la compétition : le Danemark et l’Espagne. La Chine, initialement présente, est écartée au profit de la Nouvelle-Zélande qui entre en scène, menée par Peter Burling, médaillé olympique et barreur d’Emirates Team New Zealand. Le circuit compte désormais les meilleurs skippers et surtout tous ceux de la Coupe.

2021-2024 : croissance parallèle de la Coupe et du SailGP
En septembre 2021, INEOS Team UK, devenu nouveau Challenger of Record, et Emirates Team New Zealand annoncent la création d’un nouveau circuit en AC40, une version réduite de l’AC75, en réponse directe au développement du SailGP. En décembre, Alinghi Red Bull Racing, le défi suisse, confirme son intention de participer à la prochaine Coupe.
Le choix du lieu de la 37e édition est officialisé en novembre 2021 : Barcelone accueillera la prestigieuse compétition en 2024. Ce transfert marque un tournant pour Grant Dalton, patron de Team New Zealand, contraint de défendre la Coupe hors des eaux néo-zélandaises. La gestion financière de l’édition précédente à Auckland, marquée par la pandémie, a en effet laissé les autorités publiques réticentes à renouveler leur soutien.
S’inspirant du modèle économique mis en place par les Suisses à Valencia en 2007, qui avait dégagé un excédent de 50 millions d’euros en partie redistribué aux équipes, Dalton mise sur l’organisation de la compétition à Barcelone pour financer son équipe. Il peut compter sur le soutien financier important du milliardaire kiwi Matteo de Nora, mais il ne couvre pas l’intégralité des besoins. Dans le même temps, Louis Vuitton fait son retour en tant que partenaire-titre, succédant à Prada qui avait été le sponsor principal lors de la 36e édition.

SailGP à l’équilibre après 3 ans
Un nouveau cycle s’ouvre en 2021, avec SailGP qui franchit un cap décisif. Le travail mené par Russell Coutts pour populariser la voile à la télévision porte ses fruits : les audiences progressent régulièrement, au rythme de la multiplication des Grands Prix et des villes hôtes. En décembre 2021, Coutts présente la saison 3 du circuit, qui comprend huit étapes et accueille neuf équipes. Le Canada remplace le Japon, tandis que la Suisse, emmenée par Sébastien Schneiter, intègre également la compétition. Un pied de nez à Ernesto Bertarrelli. Chez les Français, Quentin Delapierre succède à Billy Besson à la barre de SailGP France, désormais dirigée par Bruno Dubois.
Un boulevard s’ouvre pour SailGP, qui s’impose peu à peu comme l’antichambre de la Coupe de l’America, notamment avec l’arrivée de Peter Burling. Ce contexte est d’autant plus favorable que les autres circuits spécialisés, comme les Extreme Sailing Series ou le GC32 Racing, périclitent, les bateaux ne volant pas au près. Alinghi met un terme à sa participation en GC32 lui préférant le TF35, nouveau catamaran de lac ultra-performant.

Russell Coutts a laissé aux équipes un délai de trois ans pour trouver des partenaires solides pour être en mesure de payer 7 M€ par saison: 5 millions pour l’entretien des bateaux et 2 millions pour leur modernisation régulière. Il exerce une forte pression, n’hésitant pas à remplacer les barreurs jugés insuffisamment performants et à redistribuer les bateaux des équipes qui ne montrent pas assez d’efforts commerciaux. En 2020, la première franchise est cédée aux Danois, soutenus par Rockwool, puis Ben Ainslie devient propriétaire des parts de l’équipe britannique SailGP. En 2021, Fred Pye acquiert la franchise canadienne. Chaque franchise est vendue autour de 10 millions d’euros.

En septembre 2021, lors du Grand Prix de Saint-Tropez, nous faisons le point avec Russel. Il est assez confiant :
« Tous les meilleurs marins veulent naviguer sur les F50. En dehors de la Coupe, ils ont peu d’occasions de se confronter à ce niveau. Après trois ans et deux saisons, le pari de ce nouveau circuit est presque gagné. Nous sommes une start-up devenue un championnat mondial. La saison 3, avec ses villes et partenaires, nous permet déjà de couvrir l’ensemble de nos frais et une bonne partie des équipes arrivent presque à s’autofinancer. »

Sur le front de la Coupe de l’America, Alinghi franchit une étape décisive en rachetant le premier AC75 de Team New Zealand, que l’on voit naviguer à Barcelone où les bases des équipes commencent à sortir de terre. De son côté, la classe AC40 prend forme : en octobre 2022, le tout premier exemplaire est mis à l’eau en Nouvelle-Zélande. Tom Slingsby rejoint American Magic, tandis qu’en janvier 2023, Stephan Kandler s’associe à Bruno Dubois et l’équipe de Sail GP française pour monter un défi sur la Coupe de l’America. En février, l’équipe prend le nom d’Orient Express Team. À Barcelone, les premières bases des syndicats commencent à sortir de terre.

Le circuit SailGP parvient à rassembler l’essentiel des barreurs et des équipes engagées sur la Coupe, à l’exception notable des Suisses. Arnaud Psarofaghis, barreur d’Alinghi Red Bull racing, y fera toutefois une apparition ponctuelle, remplaçant Peter Burling lors d’un Grand Prix. Le circuit semble faire jeu égal avec la Coupe. Mais la saison 2022-2023, la troisième du circuit, a bien failli s’arrêter prématurément, ébranlée par deux incidents majeurs.

En janvier 2023, lors du Grand Prix de Singapour, l’aile rigide du F50 néo-zélandais est frappée par la foudre peu après la fin des régates, blessant un membre d’équipage. Un mois plus tard, à Sydney, un coup de vent violent balaie la base technique : le bateau canadien est détruit, plusieurs ailes sont endommagées. En interne, certains dénoncent des conditions de travail précaires et une pression excessive pour assurer le spectacle, quel qu’en soit le prix.

Malgré ces secousses, le championnat reprend son cours et va à son terme. La saison s’achève en mai 2023 à San Francisco après onze Grands Prix. L’équipe australienne, emmenée par Tom Slingsby, l’emporte une nouvelle fois, devançant les Néo-Zélandais. La France, avec Quentin Delapierre à la barre, termine au pied du podium, à la quatrième place.
L’annonce de l’arrivée du quadruple champion du monde de Formule 1 Sebastian Vettel, qui investit dans la nouvelle équipe Team Germany — dixième nation à rejoindre le circuit — marque un tournant. Et alors que l’AC75 s’annonce plus rapide que le F50, Russell Coutts promet une évolution technologique : les futurs bateaux du SailGP seront dotés de nouveaux foils en T, capables de franchir la barre des 100 km/h.

SailGP et Coupe de l’America désormais en parallèle
La saison 4 du circuit SailGP s’est ouverte dès juin 2023 à Chicago, avec treize Grands Prix au calendrier. En parallèle, la Coupe de l’America entame sa montée en puissance : en septembre, les premières régates préliminaires en AC40 se tiennent à Vilanova, en Espagne, suivies d’un second rendez-vous à Djeddah, en novembre. À un rythme soutenu, les skippers naviguent entre les deux compétitions, affrontant leurs rivaux toutes les deux semaines. Il était initialement prévu d’organiser davantage de régates en AC40, mais le développement de ces nouveaux monocoques volants a connu des problèmes techniques lors de sa mise au point et a pris du retard, contraignant Grant Dalton à revoir le calendrier.
Le mois de novembre 2023 marque aussi le retour officiel de Louis Vuitton comme partenaire titre de la Coupe, tandis que Rolex, déjà engagée depuis les débuts de SailGP, devient sponsor majeur du circuit, scellant un accord pour dix saisons. Un engagement fort.

Au printemps 2024, les six nouveaux AC75, sont dévoilés. Les équipes doivent alors jongler entre les entraînements sur les F50 de SailGP et les mises au point techniques de leurs AC75. Le Britannique Ben Ainslie choisit ainsi de confier la barre de son F50 à Gilles Scott. En juillet, les Espagnols de Diego Botin s’adjugent la saison 4 de SailGP, mais tous les regards sont déjà tournés vers Barcelone, où se prépare la Louis Vuitton Cup, dont le coup d’envoi est donné en août 2024.
Anticipant ce chevauchement, SailGP a ajusté son calendrier : la prochaine saison ne reprendra qu’à l’issue de la fin de la Coupe.

Saison 5 – Le SailGP s’impose
En octobre 2024, Team New Zealand s’impose sur la 37e édition de la Coupe de l’America. Ben Ainslie, avec son équipe Athena Racing, est reconduit en tant que Challenger of Record pour la 38e édition.
La Coupe a fait peu parler d’elle pendant 4 mois, et les Round Robins, disputés sur seulement deux semaines. La visibilité de la Coupe a été jugée très faible par de nombreux observateurs. Grant Dalton n’a rien fait pour promouvoir l’évènement au niveau international.

À peine la Coupe de l’America achevée en octobre 2024, la cinquième saison du circuit SailGP débute dès le mois suivant. Le calendrier s’accélère, et la flotte accueille deux nouvelles équipes : le Brésil et l’Italie. Douze bateaux sont désormais en lice. La franchise de l’équipe américaine est vendue. Jimmy Spithill, qui a mis fin à sa carrière de skipper, prend la tête du projet italien.
Avec la fin de la Coupe et la publication attendue en juin 2025 du protocole de la 38e édition, les regards se tournent vers le circuit SailGP. Et ce d’autant que la Classe AC40 promue par Grant Dalton ne rencontre aucun succès. Un seul acquéreur s’est montré intéressé par l’achat d’un bateau. Les AC40 construit par les néo-zed sont chers, la maintenance difficile et surtout l’équipe n’a ni les moyens, ni la volonté de porter cette nouvelle classe et de créer un circuit. Grant Dalton a échoué sur ce point.

En janvier, les F50 sont équipés de nouveaux foils en T. Ce gain de performance entraîne cependant des fragilités dans la structures des ailes. En avril, l’aile rigide du bateau australien se brise en pleine course. Par chance, aucun blessé n’est à déplorer. Russell décide alors de faire un refit complet des ailes et annule le Grand Prix de Rio. Désormais en position de force, il n’est plus question pour lui de prendre des risques inconsidérés. Ce qui n’empêchera pas une nouvelle casse sur le bateau Français au GP de Portmouth en juillet.
Le circuit SailGP enchaîne les annonces spectaculaires, entre rachats de franchises et arrivée de célébrités. Dans une stratégie assumée de Glamour et de rajeunissement de sa base de fans, le circuit attire le rappeur DJ Khaled, figure influente sur les réseaux sociaux, qui a composé la musique officielle de la compétition. En mars 2025, la fondation de Kylian Mbappé annonce un investissement dans l’équipe de France. D’autres stars du cinéma emboîtent le pas : Hugh Jackman et Ryan Reynolds deviennent copropriétaires de l’équipe australienne, tandis que l’actrice Anne Hathaway figure parmi les actionnaires de l’équipe italienne, aux côtés d’Adam Shulman et de l’Italienne Miriam Leone.
Ce lien croissant entre SailGP et l’industrie du divertissement peut s’expliquer aussi par l’implication de David Ellison, fils du milliardaire Larry Ellison. Il est à la tête de Skydance, société de production hollywoodienne partenaire de Tom Cruise et récemment acquéreur des studios Paramount.

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