par leloublan » 24 Aoû 2019 17:50
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Le prototype du TF35, catamaran révolutionnaire, prend son envol
Le prototype du catamaran volant révolutionnaire, appelé à remplacer le D35 dès l’an prochain, a tiré ses premiers bords cette semaine sur le Léman. Témoignages
Il porte désormais la barbe, mais le visage bonhomme n’a pas changé. Dirk Kramer, ingénieur naval émérite, l’un des cerveaux de la campagne victorieuse d’Alinghi en 2007, a le sourire satisfait. «Je suis content et fier de ce bébé. Ce bateau marque un pas important dans le développement des voiliers à foils.» Le bébé, c’est le prototype du TF35, le catamaran volant lémanique appelé, dès 2020, à remplacer le D35. Un bateau révolutionnaire sur lequel Dirk Kramer et une équipe de designers, composée notamment du Vaudois Luc Dubois, planchent depuis un an et demi. Des efforts récompensés puisque ce nouvel oiseau du lac a pris pour la première fois son envol en début de semaine avec succès. «Il a tout de suite décollé, par vent arrière et par vent de face», se réjouit Dirk Kramer.
Dans son cahier des charges, le TF35 devait répondre à deux exigences essentielles. Etre capable de voler dans les petits airs, prédominants sur le Léman, et démocratiser le vol. «Actuellement, il faut quasiment avoir une médaille olympique pour pouvoir barrer un bateau volant. C’est un frein au développement de ce sport, constate Bertrand Favre, responsable de la classe des TF35 et CEO de Lémanique Foiler SA. Notre objectif avec le TF 35 est donc de rendre le vol accessible à des non-professionnels et notamment aux propriétaires barreurs des D35.»
D’où l’idée d’asservir le pilotage des foils, les ailettes permettant au bateau de décoller. Luc Dubois, qui fut, avec Jean-Pierre Baudet, l’inventeur, au début des années 1990, des voiles 3DL sans couture, et qui a participé à plusieurs Coupes de l’America en tant qu’ingénieur, s’est vu confier le développement d’un logiciel. «Plutôt que d’autopilotage, on peut parler d’assistance de vol, précise Luc Dubois. Le logiciel s’occupe de régler les foils, donc l’élévation du bateau. Et l’équipage gère le reste (direction et vitesse) comme sur un voilier traditionnel.» Le TF35 est donc le premier bateau à foils disposant d’un système d’aide au vol.
Voler avec 6 nœuds seulement
L’autre particularité de ce voilier révolutionnaire, c’est de pouvoir voler dès 6 nœuds de vent alors que les autres foilers ont besoin d’un minimum de 8 nœuds pour décoller. Ce qui nécessite une surface de voile plus importante que sur les bateaux volants de mer et des foils plus grands et donc plus lourds (70 kilos chacun). Pour Dirk Kramer, responsable des structures, le défi consistait à faire un bateau aussi léger et solide que le D35 mais subissant des efforts plus importants en raison des foils. Pari réussi. «Les premiers essais de navigation semblent prouver qu’on a trouvé le bon compromis», se réjouit l’Américano-Néerlandais.
En ce jeudi matin, l’engin est à sec au bout de la jetée de la Société nautique de Genève avant une nouvelle navigation prévue en fin de journée. Autour de lui, s’affairent les ingénieurs, mais aussi des membres d’Alinghi et de Realteam, les deux équipes chargées de tester et mettre au point le prototype avant la construction dans les prochains mois des sept autres unités qui complèteront la flotte.
Objectif: lancement du championnat TF35 en mai 2020. «On espère pouvoir livrer les six premiers d’ici à février, précise Bertrand Favre. Pour les premières navigations, on fait appel à des équipages qui ont l’expérience des bateaux à foils afin de pouvoir progresser rapidement, apporter les ajustements nécessaires et surtout valider la structure des foils et du mât avant la production de ces parties-là .»
«Il faudra réapprendre à naviguer»
Arnaud Psarofaghis, champion du monde de GC32 (circuit international de catamarans volants) à la barre d’Alinghi, et spécialiste de Moth à foils (premier petit monocoque volant), est enchanté: «Les sensations lors de la première journée étaient très bonnes. Il y a encore beaucoup de travail et il faudra réapprendre à naviguer car c’est quand même différent du D35 mais aussi du GC32 parce qu’avec le TF35, on vole beaucoup plus souvent, et notamment au près (vent de face). Or voler par vent de face est beaucoup plus difficile que de voler au portant. Cela exige une plus grande coordination et encore plus d’anticipation. Au près en D35, on est relativement tranquille, alors que là ça mouille et le bateau est instable. Il n’y a aucun bruit mais on se prend du vent comme si on était sur l’autoroute avec la fenêtre ouverte. Il faut s’accrocher.»
Jérôme Clerc, barreur de l’équipe Realteam en D35 et en GC32, est tout aussi grisé par sa première navigation en TF35: «Il y avait de belles conditions pour voler et le bateau est parti facilement sur les foils. Il a plus de puissance qu’un GC32 et potentiellement plus de vitesse. Voler, c’est une autre dimension. Dès qu’on commence à décoller, on a vraiment une sensation de légèreté et de vitesse. La barre est légère et on a l’impression que rien ne peut arrêter le bateau. Ce qui est génial, c’est de savoir qu’il va voler dans des conditions de petit temps. On aura sur le lac Léman des possibilités qu’on a normalement en mer.»
Dès la fin de la phase de validation et une fois la mise au point du logiciel terminée, le prototype sera à disposition cet hiver de toutes les équipes en attendant la réception de leur propre bateau. Les premières régates en flotte sont prévues en mai 2020.